Le Bienheureux

 

Frère Arnould n'a pas eu une vocation d'ermite pour aller se retirer dans un lieu solitaire loin du monde, afin d'y trouver Dieu. Il n'a pas été non plus attiré par la vie monastique dont il connaissait certainement plusieurs abbayes en Lorraine et Champagne. C'est d'abord au sein de sa famille qu'il a vécu la solidarité.

Tout se résume dans son intense amour de Dieu et dans la joie d'accom­plir sa sainte volonté.

Nicolas-Jules Rèche (de son nom de famille) ayant vécu dans une famille modeste et, financièrement, souvent en situation difficile, a acquis très tôt les vertus qui prédisposent à la patience, à l'énergie, à la ténacité en ses croyan­ces, en ses habitudes et en ses résolu­tions. 

Il acquit donc l'habitude à vivre et à travailler avec confiance, surtout que sa mère fut fortement ébranlée dans sa santé après la naissance de Célestine, la toute dernière et la 9e en­fant de la famille. À la suite du décès très rapide du premier enfant, le droit d'aînesse allait appartenir à Nicolas-Jules.

 

 

Le père de notre héros présidait cha­que soir la prière. Il récitait aussi le cha­pelet avec les siens et, le dimanche, leur lisait la vie des Saints. Dans une telle ambiance, Nicolas-Jules ne pou­vait que prendre le bon chemin. De plus, comme il était doué de bon sens et d'une excellente mémoire, il pro­gressa vite dans les notions élémen­taires qui lui serviront, plus tard, de base à une instruction plus complète.

Comme il ne pouvait nourrir l'ambition d'être instituteur parce que la famille était trop pauvre, il dut gagner tout de suite son pain en accomplissant des besognes de valet de ferme. Il fut si docile et démontra tant de sagesse que ses maîtres le respectèrent.

Il bénéficia aussi d'un climat de foi que l'on devine, dans la paroisse de Landroff, à travers toutes les cérémo­nies religieuses qui s'y déroulent en grand nombre et où il est d'ailleurs ser­vant de messe ou porteur de bannière.

Sa première Communion n'a lieu ce­pendant que le 11 mai 1851, alors qu'il a déjà 13 ans; cela est dû sans doute à la rigidité des règlements de l'an­cienne Eglise de France. Il est guidé dans sa conduite et ses lectures par l'Abbé Grégoire, curé de la paroisse. Nicolas-Jules est capable d'aider ses camarades dans l'étude du catéchisme et de redresser les erreurs en tradui­sant en langage simple les mots trop savants. 

Il a déjà suffisamment de vertu pour ne pas se venger des joueurs de quilles ou amateurs de bals qui se moquent de son allure, lui cachent ses outils ou le criblent de boules de neige. Cordial, serviable, volontiers souriant, il retient en définitive toute la sympathie.

 

 

Après avoir passé 10 ans au service de la famille Guerber, Jules Rèche se retrouve comme cocher au service d'un châtelain à Raville-Fouligny. Il se trouva mal à l'aise dans ce milieu mon­dain. Il écrivit donc à son père, Claude, qui le laissa revenir à Landroff. Jules ne reste pas longtemps au chômage. Il est engagé par un certain M. Bourgui­gnon, constructeur d'églises, qui va bâtir un vaste sanctuaire à Charleville. 

C'est sur ce chantier que va travailler Jules et là, il fera connaissance des Frè­res des Ecoles chrétiennes. Le terras­sement est commencé en 1859 et l'église sera consacrée sous le vocable de Notre-Dame et Saint Remi en 1863. De 1859 à 1862, Jules contribue à l'édi­fication de la maison de Dieu.

Après une très courte période de relâchement, Jules revient à la prati­que de ferventes prières et aux médi­tations matinales et nocturnes. Il jeûne chaque vendredi et mortifie son corps. Il va même parfois passer la nuit dans le grenier à foin, au-dessous du toit.

C'est là qu'une chute malencontreuse le précipite sur une pointe et il se blesse profondément au côté. Il garde le silence et persiste à travailler comme charretier. Son patron constate qu'il souffre et le conduit au médecin. Ce­lui-ci insiste sur le fait qu'il abrège ses jours. Il fatigue donc de plus en plus. Son patron dira de lui plus tard : « Ju­les était très doux, il acceptait les or­dres sans murmurer, accomplissait de son mieux l'ouvrage prescrit. D'une conduite exemplaire, il ne dépensait rien, envoyant à ses parents tout l'ar­gent qu'il gagnait ».

Marie Brulefer, tante de Jules, lui conseilla de se rendre aux réunions do­minicales organisées par les Frères des Ecoles chrétiennes pour les jeunes gens. Il prit aussi des cours du soir pour adultes près de deux Frères. Il devint lui-même une aide pour ces jeunes en les aidant à résoudre un problème d'arithmétique, par exemple, ou en leur fournissant la bonne parole.

Se dessi­nent en lui une tendance à la contem­plation, au total recueillement et un profond désir d'appartenir à Dieu. Le jaillissement soudain de sa vocation de Frère des Ecoles chrétiennes se fit à l'occasion d'une rencontre providen­tielle avec le Frère Euthyme, Visiteur du District de Reims, alors que ses che­vaux s'abreuvaient au bord de la Meuse. Lorsque le sage Directeur de Charleville l'interroge pour savoir si sa vocation est bien réelle, Jules répond en particulier : « Il me semble que je prie volon­tiers ... », « J'enseigne le catéchisme à de petits ramoneurs et à quelques autres ». « Si l'on consent à me recevoir, j'espère être fidèle jusqu'à la mort ».

Il va donc se séparer de sa famille, toujours à Landroff, en Lorraine, et se présenter au noviciat des Frères, à Beauregard, près de Thionville, le 13 novembre 1862. Le 23 décembre 1862, il revêtait l'habit des Frères. Le nou­veau venu édifie ses jeunes confrères par son aimable simplicité, sa gravité et une sorte de sérénité immuable.

 

 

Il est vrai qu'il s'est déjà forgé une per­sonnalité dans les différentes expérien­ces précédentes et qu'il a dépassé de­puis peu les 24 ans. Sous son nom de Religieux, Frère Arnould, il édifia les autres novices qui écoutaient ses pa­roles ardentes, surtout quand, selon l'usage, revenait son tour de formuler l'oraison à haute voix.

Il pratiquait l'obéissance avec élan et il évitait toute conversation oiseuse. En qualité de « président des novices », il supplée parfois le Frère Directeur en organisant des conférences spirituelles où il dé­montre qu'il connaît déjà bien l'Ecri­ture Sainte. En novembre 1863, il quitte le no­viciat de Beauregard pour Reims, la cité de son fondateur. 

Il arrive ainsi au pen­sionnat St Joseph, rue de Venise, pour quelques surveillances d'abord ou quelques répétitions. Les loisirs sont occupés dans une étude intense de la grammaire de Chapsal, de l'algèbre, de la géométrie et plus tard, de la physi­que, la chimie et l'histoire naturelle.

 

 

Il se plonge ensuite dans la philosophie et devient capable de s'enthousiasmer pour la Somme de Saint Thomas d'Aquin, ce qui le fera surnommer « le théologien ». Au cours de l'année 1864, on lui confiera la 6e classe et, à partir de septembre 1865 et jusqu'en 1870, le professeur gravira de nouveaux échelons.

La sainteté discrète, délicate, agit sans bruit. Il s'incorpore à la commu­nauté avec tant de perfection que per­sonne ne songe à observer son com­portement et pourtant il en impose par son recueillement et sa charité. Un seul point prête le flanc à la critique, c'est qu'il a grand-peine à pratiquer l'exac­titude parce qu'il est lent ou parce qu'il se complaît à aider le prochain, à écou­ter un confrère qui a besoin d'un ren­seignement, d'un avis charitable et im­médiat. En 1865, il prononce ses premiers vœux qu'il renouvelle les deux années suivantes et le 17 septembre 1868, il est admis aux vœux triennaux. 

Il reste en lien avec sa famille terrestre et de son courrier avec elle, il se dégage une fréquente préoccupation de bien ser­vir le bon Dieu quelles que soient les circonstances et les conditions de la vie quotidienne.

 

 

La fièvre typhoïde se propage à Reims en 1868 et le Frère Directeur de St Joseph, Frère Rénaux, invoque saint Joseph et promet d'ériger une statue au protecteur de la congrégation si le pensionnat est épargné. Le Frère Arnould envoie en Lorraine un bulle­tin de victoire : « Sur nos 200 internes, pas un seul malade » et il assistera, le 19 mars 1869, à l'inauguration et à la bénédiction du monument votif. S'est-il offert à la place d'autrui ? Dieu seul le sait, mais on peut le supposer puisqu'ayant déjà souffert d'un érysipèle en 1865, le streptocoque l'infecte de nouveau en juillet 1869, provoquant chez lui des frissons, des maux de tête et une inflammation qui entraîneront trois semaines d'infirmerie. Les dou­leurs violentes n'ont pas terni sa séré­nité et son énergie et il écrit lui-même dans une lettre du 20 août : « Vous ri­riez à me voir : j'ai tout un côté de la tête dégarni de cheveux; sur l'autre côté, ils sont restés peu épais. J'ai des taches rouges sur les deux joues ». Il se félicite de pouvoir reprendre du ser­vice et « de prier, d'étudier ». Plusieurs fois, le Frère Arnould parvint à une vé­ritable extase dans ses longues orai­sons devant le Saint-Sacrement, selon les dires de ceux qui le virent dans un recueillement tellement profond qu'il n'entendait plus l'appel qu'on lui fit. Le 20 août 1870, l'établissement scolaire de la rue de Venise, à Reims, reçoit 61 blessés ou malades, rescapés des batailles de Wissembourg et de Froeschwiller. Ils seront bientôt 183 blessés confiés aux soins des Frères. Mais le 4 septembre, ils veulent échap­per à l'ennemi qui rentre dans Reims à 3 heures de l'après-midi. Il ne res­tera donc que 29 grands blessés et à 8 heures du soir, les Frères accueille­ront le premier blessé prussien, puis une dizaine d'autres le lendemain, et 171 dans la seule journée du 7 sep­tembre. L'ambulance fonctionnera jus­qu'au 5 novembre et parmi les 28 Lasalliens qui se seront dévoués au chevet des victimes de la guerre, le Frère Arnould et deux autres de ses confrères recevront, le 1er janvier 1872, la décoration de la Société internatio­nale de secours aux blessés.

 

 

Le Frère Arnould est très affecté par le décès de sa sœur Julie, au début de décembre 1870, surtout parce qu'elle remplaçait au foyer familial la maman souffrante et, malgré sa soumission à la volonté divine, il laisse entendre un gémissement et couler des larmes. Il ajoutera : « Nous devons prier pour cette chère enfant et l'imiter ».

Que Ma­rie et Célestine suivent l'exemple de leur sœur, qu'elles restent unies entre elles et avec leurs frères, qu'elles aient bien soin de papa et de maman, qu'el­les s'attachent à Dieu seul et ne cher­chent le bonheur que dans la pratique de la vertu ». Dans une lettre du 7 avril 1871, le Frère Arnould fait état de sa douleur d'apprendre que son pays ne sera plus français. Il est aussi très in­quiet des événements de la Commune dans Paris et se demande « quel sera le sort de nos Supérieurs dans notre Maison-Mère ? ».

Mais le Frère Arnould garde une sé­rénité d'âme qui le place au-dessus des contingences et lui permet de se pré­parer à se vœux perpétuels qu'il pro­noncera le 6 septembre 1871. Une halte en famille lui est accordée. Voilà 9 an­nées qu'il a quitté les siens et il n'a pu les rejoindre aux heures de la guerre, de l'invasion et de l'annexion.

À Reims, les classes ont repris le 16 janvier 1872, avec autant d'élèves qu'avant la guerre. Le Frère Arnould a la tête un peu inclinée, de façon habi­tuelle, et un visage méditatif. On sent qu'il exerce sur lui-même un plein em­pire. Il est fréquemment en prière et mène une vie humble. Il exécute tout ce qu'on lui commande. Parallèlement à ses obligations pédagogiques, il poursuit ses études personnelles et ac­quiert une compétence reconnue.

Son père, Claude, mourra avant sa mère, à la fin de 1873. Le Frère Arnould donne des conseils à ses frères et sœurs pour éviter les querelles qu'un héritage peut engendrer et pour éviter qu'on ne prenne pas grand soin de la maman. Il montre ainsi que son atta­chement à sa famille ne l'empêche pas de se consacrer entièrement à Dieu.

A l'automne 1877, le Frère Arnould arrive à Thillois, près de Reims, où il est nommé directeur du noviciat (qui était avant à Beauregard, dans la Lor­raine maintenant annexée). Il y exerce une charge qui n'est pas une petite affaire, comme il le dira lui-même, car il faut former des jeunes gens à la vie religieuse. Pendant 8 mois, il reste obligé à de fréquents voyages à Reims pour continuer son cours d'agriculture. Le Frère Arnould fit preuve à la fois d'humilité et de netteté dans son lan­gage avec les novices qui sentirent très vite qu'il leur parlait avec réalisme et amour.

 

Le Directeur des novices savait bien quelle forteresse est une conscience humaine et que les paroles n'y trouvent aucun accès si Dieu n'ouvre une brêche. Le Frère Arnould s'est mis à l'école de Saint Jean Baptiste de La Salle, son fondateur, pour vivre au milieu de ses novices et leur apporter de sages conseils dans le choix des lectures spirituelles ou faire preuve de prudence, d'affection et de simplicité plutôt que d'abuser de raisonnements.

 

Il possédait un sens du discernement qui, en plusieurs circonstances, parut surnaturel. Le maître des novices en­seigne aux débutants comment il faut parler à Dieu dans l'oraison, car elle est une source où l'âme s'abreuve. Dans ses conférences apparaissent, en même temps, clarté et méthode et aussi sens du surnaturel à travers des cita­tions spontanées de l'Ecriture Sainte. Il présida aussi plusieurs retraites de Frères et partout on est unanime à cla­mer la douceur, l'amabilité et la sainte sérénité du Frère Arnould.

Après avoir avoir gouverné pendant 7 ans les novices à Thillois, une lettre du 14 janvier 1885 nous apprend que le no­viciat sera transporté à Reims, dans le courant de l'été, dans un vaste bâti­ment en construction qui abritera aussi les petits-novices (actuellement à Bar-le-Duc), le scolasticat (en ce moment à Longuyon) et les Frères âgés de la pro­vince. Il s'agit d'un terrain de plusieurs hectares, en pleine campagne, qui cor­respond aujourd'hui au pensionnat du Sacré-Cœur, rue de Courlancy. C'est le Cardinal Langénieux, archevêque de Reims, qui bénit les locaux.

 

Les fêtes de la béatification de Jean-Baptiste de La Salle, en 1888, procu­rèrent une vive joie au Frère Arnould et il participa aux magnifiques céré­monies du triduum rémois, du 22 au 24 juin.

 

Dès 1886, le Frère Arnould avait souffert d'une dépression nerveuse que ses fatigues avaient certainement pro­voquée. Il en triompha par son éner­gie. 

En novembre 1888, survint une pleurésie qui s'aggrava. Une amélio­ration apparut à la fin de décembre. Il dirigeait de nouveau le noviciat en fé­vrier 1889 et il présida une longue re­traite de Frères au mois d'août.     

Les séquelles de la pleurésie se manifes­tèrent plus douloureuses et une épi­démie d'influenza l'atteignit au cours de l'hiver 1889-1890.

Au mois de mars 1890, il fut déchargé de la direction des novices. 

C'est à cette époque qu'il consentit à se laisser photographier et l'on dénote chez lui un regard encore vif et une grande sérénité.

 

 

En septembre, sur ordre du méde­cin, il tente une cure au Mont Dore. Quand il revint à la rue de Courlancy, il dut s'aliter. Ses regards se tournaient de plus en plus vers l'éternité. Le 22 octobre, il fut autorisé à se lever et sur­veilla des travaux de jardinage mais, le soir, il apparut très accablé.

Le lendemain, entre 8 heures et 9 heures, il se dirigea vers la salle com­mune puis passa à la chapelle, revint au grand air, puis, assez chancelant, regagna la chapelle. Après quelques minutes de prière, il se leva assez brus­quement et chancela, prêt de s'écrou­ler. Il fut ramené dans sa cellule et l'agonie commença aussitôt après. Le serviteur de Dieu expira, vers 18h30, ce 23 octobre 1890.

Le renom de sainteté du Frère Arnould était établi dans sa congrégation et au-delà. Confiants en son intercession, beaucoup se décidèrent à le prier. A partir de 1900, on parle déjà de plusieurs guérisons.

 


Créez votre propre site internet avec Webador